14 nouvelles d’un des plus fameux auteurs français de fantastique, dans autant d’univers oppressants où l’impuissance est renforcée par des grandeurs qui dépassent l’entendement. La folie et les sévices ne sont jamais loin, portés par une écriture riche qui aime visiblement bien balader le lecteur. Déception générale malgré quelques bonnes idées ici et là.
Il était une fois…
Une ville gérée par des ordinateurs dingues ; un building peuplé de dormeurs régulièrement piqués par des millions de mouches ; une course de vélo qui n’en finit pas ; une cité qui bannit le son jusqu’à rendre ses habitants atones ; un métro aux propriétés ésotériques ; une congrégation spatiale de pompes funèbres de haute voltige sur le déclin ; etc. [résumés libres de quelques titres qui m’ont marqué]
Critique de Trajets et itinéraires de la mémoire
Ce recueil comporte une presque quinzaine de textes, certains assez longs (Vu en coupe d’une ville malade et Visite guidée, plus de 50 pages), publiés par Brussolo à ses débuts dans divers magazines de SF – corrigez si le félin se goure. En refermant le pavé, l’arc-en-ciel dans mon cœur : la joie de me souvenir de quelques passages extrêmement forts, hélas éclipsés par un sentiment généralisé d’avoir perdu du temps à tenter de m’acharner sur des passages entiers jugés, a posteriori, inutiles.
Car le style de Serge B. m’a rapidement interpellé : l’auteur s’amuse avec le vocabulaire, déroulant consciencieusement ses métaphores et répétitions sur des situations déjà complexes et qui feront appel à une solide imagination. Ses intrigues fantastiques (celle de Comme un miroir mort est sublimement trouvée) sont exploitées à mort (littéralement parfois), d’où un vertige confinant au malaise lorsque le lecteur est bien immergé. Or, lorsque ce n’est pas le cas et que la nouvelle vous apparaît comme un galimatias de belles phrases enchevêtrées, l’ennui ou la frustration est totale – Mémorial in vivo ou Anamorphose pour ne citer qu’eux.
Quant au sujet principal rappelé dans le titre, force est de reconnaître que cette compilation outrepasse le thème strict de la « mémoire ». Entre les corps et objets jouissant d’une faculté de mémoire ou la puissance de ce dont est capable le cerveau du protagoniste (lequel nage dans l’incompréhension la plus totale), il y a vraiment de tout. Le point commun reste néanmoins l’apparition du fantastique sous toutes ses formes, que ce soient des propriétés étranges de tel ou tel lieu (un musée infini dans Trajets et itinéraires de l’oubli, imaginez donc), voire l’inversion d’une situation telle qu’on la connaît. Moi qui ne suis guère fana du fantastique, comprenez que les menues justifications science-fictionnesques (dans les derniers paragraphes) m’ont gravement laissé sur ma faim.
Oui, le félidé en attendait plus d’un auteur qu’il tend à légitimement idolâtrer. Jusqu’à relativiser le sentiment d’échec de ce demi millier de pages : il s’agit des titres les plus anciens d’un écrivain qui n’avait peut-être pas encore l’indémodable plume et les indémodables trouvailles de SF des plus grands. Facile de saisir comment ces nouvelles cartonnaient dans les années 70 et 80. Cependant, pour un vieux fauve qui a bouffé ce genre de littérature depuis des temps immémoriaux (évidemment), ça s’est différemment passé.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
En premier lieu, faut avouer que les environnements imaginés sont guère reluisants et accueillants. L’inquiétude générale et le glauque dominent, avec un penchant net pour la torture si vous êtes phobiques à certaines choses (les insectes, la machine qui se fond en vous). Les lieux décrits forment de petits univers fonctionnant en une apparente indépendance, autosuffisant grâce à une machinerie démoniaque et/ou mourante ou un infâme postulat de départ dont le lecteur découvre l’étendue – pour mieux se rendre compte que les êtres qui y vivent sont terriblement impuissants. Allégorie d’un monde capitaliste qui court à sa ruine ?
En second lieu, il y a la surprise du chef. Cela peut une nouvelle d’une longueur appréciable et prenant une tournure surprenante où le thème apparaît tardivement. Ou, plus souvent, les derniers paragraphes qui offrent une explication relativement logique et scientifiquement moins bancale que prévu – en un mot, élégante. Ce genre de twist final, qu’est-ce-que c’est bon. De l’érèbe et de la nuit, La mouche et l’araignée sont de parfaites illustrations de textes efficaces dont les derniers mots décrivent une situation « réelle » invitant à une relecture. Exit donc le fantastique éthéré (sinon délicat à saisir car narré de manière subjective), bienvenue à la réalité – objectivité d’une expérience qui tourne court, voire tableau dépeignant les Deus ex machina du monde décrit. Quand Serge Brussolo y consent. Parce qu’une fois sur deux ce sera à vous d’imaginer ce qui se cache derrière la trame apparente.
…à rapprocher de :
– Brussolo est un excellent écrivain, ne l’oublions pas. C’est sur Frontière barbare que je me suis particulièrement régalé.
– A toutes fins utiles, j’ai plus pris mon panard dans le recueil de Serge Lehman intitulé Le Haut-Lieu (en lien toujours).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce recueil en ligne ici.
« Trajets et itinéraires de l’oubli » existe en Folio 2€. Du coup bah c’est court mais on s’ennuie pas, faut dire que c’est vite fini donc ça motive ^^
Meme les bonnes nouvelles de SF ou de fantastique, ca vieillit mal car elles sont en général reprises a toutes les sauces par l`auteur ou par d`autres et le lecteur lit une nouvelle en ayant plus ou moins en mémoire des avatars plus récents de cette nouvelle, ce qui enleve l`effet de nouveauté. C`est le probleme aussi avec les polars ou d`autres genres typés. Qu`en pense le gros chat?
C’est pour cela qu’il faut une intrigue avec un protagoniste différent (et que les anciens personnages connus se fassent discrets). Ender : Préludes de Scott Card ou Janua Vera de Jaworski sont des exemples.
Sinon on a affaire à un auteur fainéant qui reste accroché à son texte comme la vérole sur le bas clergé picard.
La plupart des auteurs SF (ou de polar) se font un devoir de pondre a la chaine car les fans doivent rester accrochés sous peine d`aller voir ailleurs. Cet état d`esprit n`arrange pas non-plus la qualité dans le genre.
Je ne suis pas bien d’accord sur la feneantiste des auteurs.
Certes tres souvent, en particulier en fantasy et en BD, les auteurs nous font manger du meme personnage pendant une eternite avec des histoires de plus en plus dilluees pour maximiser la vente de papier.
Mais je crois que nombreux lecteurs, moi inclus, aiment s’accrocher a un personnage. Quand le personnage est interessant, bien construit et que l’univers plait, on a forcement envie de continuer.
C’est ce qui explique principalement le succes des series que ce soit en livre, en BD, a la TV ou au Cinema.
Et j’irai meme au dela, cet engouement est loin d’etre neuf. Il n’y a qu’a voir les Sherlock Holmes, les Hercule Poirot et meme tient ce bon vieux Zola dont les intrigues tournent quasi toutes autour de la meme famille elargie.
Personne n’a tort, sauf le félin quand il force la caricature. Mais, de mon côté, j’ai encore le syndrome « Assassin Royal »…^^
Autant j’aime la SF, autant les recueils de nouvelles me laissent au mieux sur ma faim, au pire perplexe et sceptique. Dans la mesure ou je n’ai pas ete fou de frontiere barbare, je pense que je vais passer mon tour.
Qu’est-ce qu’il a ecrit d’autre Brussolo pour que tu le places parmi les plus fameux auteurs francais de fantastique?
Il y a de très bon recueils en SF mais qui souvent s’inscrivent dans une saga (Reynolds ou Hamilton).
Pour ta dernière question, disons que sa longue bibliographie, le fait que les Français ne brillent guère dans ce domaine, la pétée d’idées géniales dans ses textes, des recommandations de libraires, ont joué. Te promets de débusquer son roman incontournable.
Je compte sur toi!
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