[et cinq autres nouvelles dans la même veine] Vous voulez savoir ce que ça fait d’être un enfant à qui on préfère le frère ? Se faire jeter comme un malpropre à l’âge de 18 ans ? Faut peut-être mieux pas… Avec une plume acérée, glauque, sans pitié, voire dérangeante, ces textes ne doivent en aucun cas être prescrits aux suicidaires.
Il était une fois…
L’existence d’un adolescent à qui on préfère l’omniprésent frère ; un attentat terroriste dans un patelin perdu au milieu de nulle part ; un tatoueur exécutant une commande originale ; la Bête regardant la Belle se faire enlever ; un ami fort généreux à qui il faut renvoyer l’ascenseur ; un homme sans histoires retrouvé mort : bienvenue dans un monde où tout n’est que ressentiment, désolation et injustices.
Critique de Sans Partage
Ce n’est point le premier Serge Cazenave-Sarkis que le félin se coltine, et à chaque fois la plume du mecton réussit à instiller un petit malaise dans le pétillant esprit tigresque. Pour des basses considérations de place, je ne traiterai majoritairement que des deux premiers textes, lesquels ont failli me creuser un second trou de balle.
Sans Partage, nouvelle phare (pour 80 pages, on peut parler de novella), mérite un billet à elle seule. Prenez Ferdinand, à peine majeur, notamment affublé d’un frère (de deux ans son cadet) à l’esprit particulièrement retors. Car ce frère, Jean-Jacques, est fermement décidé à « expulser » ses autres frangins et à ne pas partager l’amour qu’une mère devrait avoir vis-à-vis de ses gosses. Cette dernière, à moitié folle en raison notamment de la fuite de son mari, cèdera (ou plutôt comblera) aux attentes de Jean-Jacques et poussera hors de la maisonnée un Ferdinand à l’avenir pourtant prometteur – serveur, ça reste mieux que rien.
Hélas, dès qu’éjecté du cocon familial, Ferdinand perd son taf et se dirige vers la capitale où il rencontrera son père. Vous parlez d’une rencontre : la joie des retrouvailles se heurte rapidement à une figure paternelle inattendue (un gay tendance SM) dont les fréquentations ne vont pas sans créer quelques incidents. Il s’en suivra une descente dans un Paname underground dans lequel Ferdinand peine à trouver sa place – malgré la rencontre avec un certain Marc et le fait de revoir son jeune frère, moins sémillant qu’auparavant.
Quant aux autres nouvelles, Le Tigre signale un énorme coup de cœur pour la deuxième, Juste la vie. Belle claque consistant à montrer un acte terroriste odieux dans un village perdu dans le trou du cul du pays. Afin de contrecarrer les plans des terroristes, l’unique survivant a une idée pour le moins géniale. Applaudissements nourris également pour Personne à retrouver, hommage discret à une version de la Belle et la Bête où cette dernière assume (malgré elle) l’enlèvement de la première.
Dans ce recueil, Serge C-S nous honore d’une narration à la première personne qui ne s’embarrasse pas de tournures de phrases ampoulées – mis à part les deux derniers textes, nettement plus verbeux. Avec les faits bruts et quelques appréhensions ici et là du narrateur, l’écriture se fait tantôt sobre, tantôt plus véhémente et reste très agréable à découvrir. Malgré une ou deux nouvelles plus absconses ou hallucinées, Serge Cazenave-Sarkis remplit son contrat littéraire.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
C’est marrant, les deux premiers textes traitent de l’égoïsme et de son contraire. Le Jean-Jacques de Sans Partage est un monstre d’égo capable de faire prendre des vessies pour des lanternes, soudoyer, mentir dans le seul but de s’approprier l’exclusivité de l’amour maternel. Il ne s’agit même pas d’une hargne contre ses frères, mais plutôt du désir impérieux de rabattre la couverture (et l’ensemble de la chambre tant qu’à faire) vers soi.
A l’inverse, le héros du deuxième texte met en œuvre un terrifiant quoiqu’efficace stratagème pour que les médias ne répercutent pas l’évènement qui a lieu dans son village : déplacer les corps, faire quelques ajustements sur les cadavres, bref donner l’impression qu’une secte de dégénérés (qui serait guidée par le narrateur) a décidé d’en finir à la mode de WACO. Un tel don de soi (il apparaîtra comme le fumier responsable du carnage) est un beau pied de nez à des fanatiques ayant choisi la facilité pour faire parler d’eux.
Mis à part ce dernier personnage, les autres donnent un sentiment d’impuissance élevée au rang de tragédie, là où tout n’est que subir et compter les coups. Aussi le détachement des narrateurs vis-à-vis des évènements peut paraître frustrant, mais réagirait-on différemment si nous étions à leur place ? (j’ai bien peur que non).
…à rapprocher de :
– De cet auteur, ça avait (relativement) bien commencé avec Avant terme – recueil de nouvelles également.
– Chez le même éditeur, j’ai préféré le recueil A chaque jour suffit sa haine, de Sébastien Chagny. Voire Satanachias, de Christophe Lartas.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce recueil en ligne ici.
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