Sous-titre : et autres espaces inhabitables. Première expérience avec Serge, quoi de mieux que se faire un très court roman et cinq nouvelles (rapidement décrits en infra). Et j’ai été relativement transporté, même si parfois j’ai été largué comme un félinculte. Complexe et touchant à différents niveaux de réalité, voilà de quoi se creuser le ciboulot.
Il était une fois…
Le Haut-Lieu : une jeune femme travaillant dans une agence immobilière fait visiter à un bel et mystérieux homme un appart’ d’un chic écrasant au centre de Paris. Or le lieu leur joue des tours, faisant disparaître les portes et pièces les unes après les autres.
Le gouffre aux chimères : de temps à autre, un étrange évènement s’abat en France. Une division dépendant du ministère de l’intérieur est sur le coup, et c’est lors d’une de ses missions que l’on découvrira un phénomène tendant à prouver l’existence de Dieu.
La chasse aux ombres molles : une entreprise de taille impressionnante emploie, dans le respect de la loi, des hommes chargés de surveiller et espionner les salariés de la boîte pour recueillir le sentiment général des troupes. Un de ces hommes est convoqué par le grand boss, et devra s’expliquer.
Superscience : bienvenue à Métropolis, ville construite après qu’Hitler a réussi à conquérir l’Europe. Un décès dans les bureaux de l’institution chargée de réfléchir à l’avenir de la ville provoque un certain émoi, entre luttes de faction et substance inquiétante qui fait apparaître un individu qui ne l’est pas moins.
Origami : notre héros, Vincent, est fraîchement admis dans une organisation et passe quelques jours dans la « Maison » pour apprendre la philosophie de son engagement. Travaux manuels, révélations distillées au compte-goutte, son esprit est sur le point d’être modifié.
La régulation de Richard Mars : Richard était un être banal jusqu’à ce que les « Grands » daignent posent leur regard sur lui et en font une sorte de dieu de l’intrigante hypersphère. Couchant ses pensées sur papier au travers d’un rat savant, nous allons comprendre son rôle d’observateur d’un système lointain peuplé par des rats.
Critique du Haut-Lieu et autres espaces inhabitables
Tant qu’à aller droit au but, les textes préférés du Tigre sont le deuxième, troisième (extrêmement court) et dernier. Le premier texte tente d’être flippant, mais à part le fin mot de l’histoire c’est un peu plan-plan. Quant à Superscience, il y a de belles idées (sur l’urbanisme et l’antagonisme art/fonctionnalité), toutefois je ne suis pas parvenu à pleinement entrer dans l’univers de l’écrivain.
Or il appert que Serge L. est excellent dans sa prose lorsqu’il fait court, comme si un cahier des charges avec un nombre de pages amoindri l’incitait à aller droit au but et se concentrer sur le meilleur : le suspense bien dosé, l’action qui arrive au bon moment en créant plus de questions que de réponses, pour laisser le lecteur comme groggy. Sur six nouvelles, chacun pourra au moins trouver une fois son bonheur.
Le style est mitigé, entre passages qui propulseront l’imagination du lecteur dans la stratosphère et paragraphes qui parfois n’apportent strictement rien. Lehman a ses lubies et n’hésite pas à broder autour, en allant très, très loin. Quoi qu’il en soit, une expérience à découvrir au moins une fois.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La préface de Xavier Mauméjean, qu’il convient de lire après avoir découvert les textes, offre une analyse d’une profondeur certaine (références à Freud ou Nietzsche, imaginez un peu) dont j’aurais honte de m’inspirer. C’est donc parti pour des thèmes qui s’en éloignent dans les grandes largeurs :
Primo, il y a l’évolution d’une civilisation (Le Tigre pense aux rats de la dernière nouvelle avec le rat Ssander) et les nouvelles problématiques que cela peut poser. Dans certains textes, on assiste à la rencontre entre une espèce et quelque chose de plus grand qu’elle, un truc tellement énorme qu’à l’échelle de cette espèce le degré de compréhension est forcément limité. Le gouvernement français qui entre dans une baraque où un homme, en disparaissant (intervention divine ?), a transformé son habitat en une construction de livres, voilà qui forcément interpelle Le Tigre.
Secundo, Lehman nous interpelle sur la notion de la réalité. Moins torturé (et heureusement plus abordable) qu’un K. Dick, l’auteur nous amène souvent à repenser le monde tel qu’on le voit, et tel qu’on pourrait nous le faire observer. Que ce soit l’homme capable de transformer un appartement, ou une organisation souhaitant faire accepter une nouvelle astronomie à l’Humanité, il y a la puissance, phénoménale, de l’esprit qui peut avoir une influence sur la matière. Tel Richard Mars, la déification comme la réification ne sont jamais loin.
…à rapprocher de :
– De Lehman, Le Tigre n’a pas lu grand chose hélas.
– De la bonne SF made in France, c’est aussi Serge Brussolo et sa Frontière barbare. o, voire le dispensable recueil Trajets et itinéraires de la mémoire. Autre recueil avec Mélanie Fazi et son Serpentine.
– La croyance, la confiance,…la nouvelle première a quelques points communs avec Substance Mort de K. Dick, avec une touche de flip’ à la King.
– Il y a surtout quelques belles similitudes avec ce qu’a écrit l’auteur américain de SF au début des années 50 (je ne parle pas de Stephen King, mais de Dick), notamment le recueil de nouvelles Le dernier des maîtres.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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