Sous-titre : Le Testament de l’explorateur. Dans un pays sud-américain doté de grands espaces, l’inspecteur Canardo accompagne un scientifique malade à la recherche des fameux oiseaux blancs de l’Amerzone. Personnages hauts en couleurs, beauté et tristesse des endroits visités, il est difficile de ne pas rêver face à cette moderne épopée. Envoûtant et cynique.
Il était une fois…
La capitale de l’Amerzone, Alvarezopolis, est en pleine ébullition. La révolution est allée à son terme, et le dictateur honni est remplacé par un militaire…qui ne tardera pas reprendre les bonnes habitudes de son prédécesseur. Dans ce joyeux bordel, un aventurier libéré de prison veut absolument reprendre sa quête – une chimère selon certains. Le voyage est semé d’embûches, et ce d’autant plus que quelques uns voient dans l’objet des recherches de l’aventurier de quoi prendre le pouvoir.
Critique de L’Amerzone
Ceci est le cinquième tome des aventures d’un canard anthropomorphe porté sur la clope et la boisson, et qui est suffisamment complexe et belle pour être le matériau d’autres œuvres tout aussi excellentes – jouez ne serait-ce qu’une fois à un jeu imaginé par Sokal, et vous comprendrez. Rien que le dessin, qui peut paraître parfois brouillon et écrasé par un texte décidément bavard, est d’un réalisme rare, qu’il s’agisse des paysages ou les gueules des personnages – mazette, ça suinte la misère des hommes et la grandeur de dame nature.
Tout n’est dans ce tome que péripéties menées tambour battant et amère rigolade sur la piètre condition de l’Homme. Car tout va vite dans L’Amerzone, en moins de deux planches le scénario est posé : Canardo est chargé de ramener Alexandre Valembois au bercail, sauf que ce dernier veut à tout prix partir dans la jungle dégoter des mystérieux piafs condamnés à voler éternellement – tout ça sur les bases d’un vieux carnet de voyage. Canardo, en tuant (par accident) un soldat amerzonien, est contraint de quitter la ville et de contribuer à la quête d’un vieil Alexandre Valembois en proie à des attaques toujours plus virulentes.
L’équipée n’aurait pas cette saveur sans la pléthore d’individus surgissant dans la narration. Certains apparaissent le temps d’un aparté plus ou moins long (le brave Joseph Kaltenbunker, une allure de vautour mais à la carrure de poulet mal nourri, comploteur malgré lui ; ou un missionnaire paumé dans la jungle hostile et dont le visage luit d’une folle férocité), d’autres ont vocation à devenir (s’ils ne le sont pas déjà) des personnages récurrents, en particulier la fourbe Clara (toujours aussi classe que vénéneuse) ou la prometteuse Carmen – première apparition, et déjà elle fait peu de cas de la vie humaine.
Et que dire de la fin ? Parce que ces putain d’oiseaux existent bel et bien, aussi l’ambition de quelques uns devient sans limite alors que d’autres perdent définitivement la tête. Les dernières pages achèvent, non sans beauté, le sort des protagonistes dans un mélange d’absolution et de tristesse, avec une touche d’espoir presque dérisoire. C’est notamment pourquoi il est difficile à votre humble serviteur de ne pas coller la meilleure note aux œuvres de Benoit Sokal. Et cette grandiose épopée ne fait pas exception, même si le lecteur pourra déplorer des scènes qui se succèdent avec l’impression que le héros subit davantage qu’il créé son aventure – peut-être est-ce la marque des grands.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le félin s’est souvent demandé si le « vrai » héros de L’Amerzone ne serait pas ce doux dingue d’Alexandre Valembois, fier aventurier qui va au bout de sa passion. Le genre de gars, après des mois en prison, à reprendre la route au lieu d’aller cocooner avec ses petits enfants – qu’il n’a jamais vus. Un homme obnubilé par un mythe auxquels les Amerzoniens même ne croient pas, un être maladif que la découverte de son but privera de raison de vivre, bref le digne représentant d’un métier qui se perd. Enfin, il convient de remarquer l’ébauche d’une passation de pouvoir entre Valembois et Carmen : ces deux personnages ne semblent pas faire dans la demie-mesure, et ont suffisamment de rage au fond d’eux pour faire des étincelles – la dernière planche montre comment la rage de la jeune fille/femme a nature à être régulièrement nourrie.
Le second thème qui importe est, tout simplement, les rêve. Les oiseaux blancs d’Amerzone représentent les rêves d’une nation qui ne sait plus à quel saint se vouer. Lorsque les habitants d’un pays sont prêts à suivre le premier couillon qui pond un discours sur fond de créatures semi-légendaires, c’est qu’il y a vraisemblablement un problème. En outre, ces créatures se comportent comme nos songes : elles sont insaisissables, incontrôlables (disons qu’elles ne jouent pas le jeu) et ont, visuellement, ce quelque chose de vaguement triste et inquiétant. Sans compter que ces oiseaux, outre le fait qu’ils ne peuvent se poser, ont vocation à voir leurs ailes grandir continuellement. La mort ne les arrête pas, ils continuent à voguer dans les courants d’air chaud – la vision de leur cimetière est une expérience très forte.
Vous voyez où le fauve veut en venir : l’Amerzone héberge des rêves vivants. Pour rétablir l’équilibre, les habitants ont transformé ce pays en cauchemar.
…à rapprocher de :
– Pour l’instant, et avec le même héros, Le Tigre peut vous entretenir au sujet de Noces de brume (ai moins aimé) ; La Cadillac blanche (pas mal du tout) ; ou Marée noire – une de mes préférées, sans doute parce que plus récente. D’autres Canardo arriveront sur le présent blog.
– Les décors, l’histoire, l’ambiance, imaginez un jeu vidéo tiré à partir du présent opus. C’est arrivé en 1999, et pour y avoir passé (perdu selon maman-lynx) des heures dessus, Le Tigre peut vous confirmer que Sokal est un mini-génie.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.
Ping : Sokal – La Cadillac blanche | Quand Le Tigre Lit
Koa! C’etait aussi une BD? Chouette.
Dans un theme similaire il y a Paradise qui est tres bien aussi mais ce n’est pas du Canardo. Tu connais le Tigre?
Ping : Sokal – Noces de brume | Quand Le Tigre Lit
Ping : Sokal – Marée noire | Quand Le Tigre Lit