Sous-titre : une enquête de l’inspecteur Canardo. Dans un pays froid et inhospitalier est sur le point de sévir un chat diabolique répondant au doux nom de Raspoutine. Oui, l’ennemi juré d’un Canardo en train d’écluser des bouteilles pas loin. Le résultat est réjouissant même si l’humour est voilé derrière un mélo-drame se déroulant dans un espace intimidant.
Il était une fois…
Une famille (une jeune femme et un vioque) d’itinérants erre dans la steppe glaciale, avec pour compagnie un singe parleur regrettant sa savane et une sorte de monstre cloîtré dans une cage. Le convoi est attaqué par des loups (qui parlent aussi), lesquels recueillent la fille et le gros chat…qui n’est rien d’autre que la terreur de Sibérie. Le carnage peut d’autant plus commencer qu’Emily, la jeune fille qui le suit, détient d’inquiétants pouvoirs.
Critique de Marée noire
Voici le quatrième tome des pérégrinations du canard alcoolique et parfois trouillard, mais qui a toujours ses sursauts l’amenant à faire montre d’extrême bravoure – certains diront d’inopinés coups de chatte confinant au scandale. Quel est ce pays froid et désertique administré par des incompétents et peuplé par des soulards ? Que fout Canardo dans ce coin ? Sans doute lire les opus précédents permet d’avoir une idée plus précise de qui est qui, en particulier connaître le passif de Raspoutine qui inquiète tant le héros.
Ah…ce Raspoutine…quelle classe, quelle fièvre, quelle déchéance ! Un maître de la violence et de la manipulation, qui passe de statut de prisonnier à celui de bête du Gévaudan zigouillant avec ferveur la populace aux alentours. Une spirale de violence initiée par un pacte avec le diable (aussi pitoyable que Raspout’) et nourrie par Emily, mystérieuse femme apte à faire tomber à zéro le trouillomètre de Canardo. Car le protagoniste n’est pas en très grande forme, et la mission auto-assignée de mettre un terme aux carnages se révèle extrêmement éprouvante.
Comme souvent chez Sokal, on retrouve des décors nus et aussi amènes qu’un surveillant d’internat vous surprenant à fumer un joint dans l’enceinte du bâtiment. C’est aride et désespérant, à l’image d’une histoire qui ne manque pas de tristesse et dont l’atmosphère est aussi pesante que si vous aviez lâché une grasse perlouze lors d’un cocktail de la mère Rothschild. Le Raspoutine transpire le stupre et la rage, Canardo reste touchant par son air pataud et l’air de ne pas y toucher, et la douce Emily a cet érotisme mâtiné de folie (ses yeux…non de Zeus) qui inciterait plus d’une personne à réfléchir à deux fois avant de se débraguetter devant elle.
Vers le milieu de la BD, le lecteur assistera à un rendez-vous (une journée quand même) très tendu entre les trois protagonistes, entrecoupé par quelques révélations sur un des personnages. Canardo et Raspoutine, impressionnés par les tours de télékinésie de la petite, vont discourir sur leur avenir et les moyens de sauver Emily. Sauf que celle-ci se révèle plus ou moins incontrôlable, et contribue sans réelle surprise à un final aussi dramatique que régénérateur pour certains – il est question de tuer le père, créer la vie et se remettre d’équerre. Bref, un tome exigeant (car bourré à craquer d’une tension d’autant plus palpable pour les initiés) qui n’est sûrement pas à conseiller si vous voulez découvrir l’univers de Canardo. Ou alors commencez par le début.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Noces de brume fait référence à l’union de deux individus particuliers qui sont, à leur manière, de parfaits monstres. Monstruosité d’un Raspoutine qui, pour se régénérer, ne semble d’avoir d’autre choix que de boire le sang d’autrui. Le représentant parfait d’une société qui est un loup pour elle-même. A ses côtés, Emily n’a plus grand chose d’un humain (dans le sens d’un être doué de sensibilité) quand on voit les conditions de sa naissance et la manière dont elle use des pouvoirs dont elle jouit. Une sorte de mélange entre un E.T. et une sorcière, un personnage qui s’exclut de ses semblables en considérant ses derniers tels des monstres. Imaginez alors à quoi pourrait ressembler le rejeton de deux tels zigotos…oh wait.
Il faut savoir qu’une bonne partie de l’humour de Noces de brume réside dans la rare capacité du héros de savoir qu’il est le simple héros d’une BD. C’est ce que l’on nomme la « perception de la bande dessinée ». Sa nonchalance piquetée par quelques coups d’éclat sont ponctuées de remarques dénotant un détachement certain. Lorsqu’il se lamente de ne pas être au point physiquement, Canardo lâche un lapidaire « je ne suis plus capable d’être le héros de mes aventures ». D’autres personnages rajoutent même une couche, à l’instar d’Emily décrivant ainsi le canard enquêteur : « Un minable. Un second rôle médiocre ». Canardo semble être sur le point de se faire voler la vedette par Raspoutine, c’est dire ! C’est en retrouvant ses bons réflexes que le personnage retrouvera ses caractéristiques d’antan, à savoir ses vices préférés (la clope notamment). Pour souligner la vanité de l’existence des intervenants et renforcer une dramaturgie déjà bien établie, Le Tigre vous précise l’existence d’une chauve-souris ricanante survolant le paysage et répétant à l’envi quelques termes sombres prononcés par certains. Une sorte de présentateur débile, présent à la première et à la dernière page et qui débite, sans les comprendre (vraiment ?), les mots des prompteurs humains.
…à rapprocher de :
– Pour l’instant, et avec le même héros, Le Tigre peut vous entretenir, dans l’ordre, de : L’Amerzone (un classique) ; La Cadillac blanche (pas mal du tout) ; Marée noire – une de mes préférées, sans doute parce que plus récente. D’autres Canardo arriveront sur le présent blog.
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Super ambiance Canardo. Je ne me souviens plus de ce tome mais j’avais lu pas mal de ces BD il y a longtemps et j’avais bien aimé l’ambiance poisseuse et vaguement érotique. L’anti-héros est super touchant pour moi, j’aime bien les mecs un peu déglingués qui avancent malgré tout.
Tous peuvent se reconnaître, à un certain niveau, dans le brave Canardo.
Coin coin. C’est une nécessité de remettre Sokal au goût du jour. Merci. Quand passes-tu à Mandryka, concombre masqué ?
Quand mon cerveau sera assez abruti pour lire ton blog.
<3
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