VO : idem. Dans un futur bordélique et passablement immoral, des soldats sont envoyés au feu avec des caméras dans les yeux – l’audimat, y’a rien de mieux. Lorsque l’un d’eux survit et est protégé par un gorille parlant qui maîtrise son six-coups comme personne, c’est que rien ne sera comme avant. Western déglingué, futuriste et halluciné, voilà une sacrée pépite mes amis.
Il était une fois…
XXIIème siècle. Bleu-3425, ancien bibliothécaire récemment largué, réagit comme n’importe quel chiard capricieux : il s’engage dans l’armée pour aller botter le cul de rebelles dans une planète colonisée par l’Humanité. On y va grâce à un portail et l’endroit (le Blister) n’obéit pas aux mêmes lois physiques que sur Terre – l’électricité est inopérante. Et là, surprise ! Au lieu d’avaler son bulletin de naissance dans les premières minutes à l’instar de ses camarades, un gros singe protège notre ami. D’où sort ce truc ? Qu’est-ce que fait Bleu-3425 maintenant qu’il est accompagné par un être surpuissant ? Comment réagissent les producteurs de la TV ? Et qui est donc ce mystérieux tueur qui siffle ses « s » tel un anaconda ?
Critique de Six-Gun Gorilla
Bordel à queue ! Cela faisait longtemps que je n’avais pas pris un tel panard ! Merde, un comics qui parvient, en 150 pages à peine, à traiter tant de thèmes, à retourner autant de fois le cerveau. Magie. Non, sorcellerie ! Et dire que Simon Spurrier était inconnu du félin, comment ne pas admirer un auteur avec une telle imagination ? Car il en faut un beau paquet. Pardonnez les idées que je balance en apparence en vrac, mais il est dur de résumer un tel scénario :
Imaginez un pauvre type sur qui les regards de milliards de téléspectateurs se posent. Un gars qui n’a rien d’exceptionnel et dont l’épopée et le destin vont ravir (et faire flipper) une planète entière. Il est la clé, mais ne sait pas à quoi ressemble ce qu’il doit ouvrir ni qu’est-ce qui se trouve derrière – tout ça à cause d’un pendentif que lui remet un gradé. Surtout qu’il est accompagné par une monstruosité génétique et que l’environnement est plus qu’inquiétant : entre le Brasier qui menace (plantes/animaux sortant de terre) et les rebelles menées par une énorme matrone, en passant par une guerre absurde où on peine à trouver les gagnants, c’est à se demander comment Bleu-3425 tient encore debout.
Pour tout avouer, j’étais moyennement fan du dessin. Du moins aux débuts. Personnages à têtes carrées limite caricaturaux (sauf le singe, étonnamment bien esquissé), violence graphique exacerbée avec d’abondants bruitages, couleur dominante jaunâtre, bref ce n’est pas forcément fluide. Mais ça colle parfaitement à l’ambiance western futuriste décontractée où les protagonistes (à l’exception notable du héros) font montre d’un humour noir qui provoque plus d’un rictus chez le lecteur. En outre, Jeff Stokely, qui ne s’embarrasse guère de gros tableaux, semble aimer les illustrations à l’ancienne (on ne distingue pas l’assistance par ordinateur).
Mieux, je n’ai pas parlé du fin mot de l’histoire, qui mélange ésotérisme sur fond de rédemption avec des considérations terriblement matérielles (abjectes même). En fait, il n’y a quasiment rien à jeter dans cette BD, même si la fin peut paraître improbable et tirée par les cheveux. Toutefois, on est au-delà de la SF : c’est du fantastique (entendez : ça ouvre plein de possibilités) avec de solides notions d’anticipation sociale, tout ceci sur fond de guérilla à la Sergio Leone.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La première chose qui frappe est l’ambiance révoltée d’un monde où TOUT est connecté. Jusqu’aux yeux des soldats dont le but est d’offrir aux téléspectateurs la plus belle mort en direct – les premières pages donnent le ton, un début pareil ne peut qu’obliger à finir la suite sans s’arrêter. Or, c’est cette connexion (et la possibilité de stocker des informations dans le cerveau) qui sera déterminante dans un univers (la colonie humaine) où justement l’électricité et la technologie ne fonctionnent pas. C’est pourquoi la psyché du héros prend le relais, et que la science fiction bascule dans quelque chose de plus ésotérique – hallucinations, cauchemars et souvenirs en veux-tu en-voilà.
En outre, Six Gun Gorilla plonge le lecteur dans ce que le capitalisme peut faire de pire. Marx (ou un autre) disait que l’ultime stade est la guerre. On n’a jamais été ici aussi proche de la vérité. [Attention SPOIL] Il apparaît que le bijou donné au héros, à son insu, imprime les plans des prochaines attaques. Plans destinés à être livrés à l’adversaire afin que la guerre ne s’arrête jamais. Bah oui, ça rapporte aux annonceurs un conflit. Si vous rajoutez ces messages codés qui se mélangent à l’histoire d’amour du héros, dont le gorille n’est qu’une émanation de son imagination, je vous laisse imaginer la puissance narrative des derniers chapitres [Fin SPOIL].
…à rapprocher de :
– Le capitalisme futuriste dégueulasse et rigolard en BD, c’est l’indispensable Transmetropolitan, d’Ellis et Robertson.
– Dès les première pages j’ai brièvement pensé au film The Truman Show. Normal.
– Ensuite, le fameux Brasier (et la forme prise) m’a grandement rappelé le flippant Gritche dans la saga Hypérion de Dan Simmons.
(oui, rien ne ressemble à Six Gun Gorilla. Mais il emprunte le meilleur des meilleurs).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.
Ping : Ellis & Robertson – Transmetropolitan | Quand Le Tigre Lit