Dans un autre billet (en lien ici), Le Tigre s’insurgeait contre la fâcheuse tendance de foutre une rentrée littéraire en septembre. A tout bien réfléchir, le problème ne vient pas pas de la date. C’est plus basique : l’erreur vient de l’idée même d’un moment au cours duquel les éditeurs ont décidé de sortir leurs titres phares. C’est du gros n’importe quoi, il est grand temps d’y mettre un terme.
Pourquoi une rentrée littéraire ?
Il est toujours délicat d’évoquer la saloperie qu’est l’idée d’une rentrée littéraire (ci-après « RL« , également initiales de Résidu de Livres) lorsque Le Tigre reçoit une caisse de titres gracieusement envoyés par de nombreuses maisons d’édition. Sachez seulement que je n’écris pas ce billet pour le plaisir de les faire rager – ce serait autant trivial qu’indélicat. De surcroît, je vais tâcher de ne pas répéter mes arguments au sujet du déplacement de la RL en juin, même si la démarche intellectuelle est à peu près la même.
C’est parti. Chaque année, il y a quelque chose qui immanquablement me perturbe lors de la rentrée : les médias, comme pour éluder la gravité d’un mois de septembre moribond, s’excitent comme des pucelles lors d’un bal de village pour commenter ce qui vient de sortir dans les librairies. Pire, ces braillants individus agressent les oreilles (et yeux) du Tigre dès le milieu du mois d’aout, presque en même temps que le JT qui explique comment telle surface commerciale prépare ses têtes de gondoles pour la nouvelle année des écoliers. Bande de sournois bâtards.
Vous pensez que c’est fini ? Il y a bien plus débile de la part des éditeurs : une seconde rentrée littéraire a également lieu début janvier. Oui, lorsque l’année commence. A peine quatre mois pour se remettre d’une orgie de bouquins plus ou moins inutiles que ces couillons du service marketing décident de balancer dans le commerce une flopée à peine croyable de nouveaux titres. L’année fiscale se termine, et voilà une nouvelle couche ! Y’en a qui ne doutent de rien.
En effet, les deux rentrées littéraires arrivent au moment le plus inopportun qui existe en ce bas monde. Comme je l’expliquais ailleurs (Sutra.21), foutre le premier happening culturel après les vacances est d’une bêtise sans nom : cerveau accaparé par le job, aucune envie de se détendre (malgré les efforts des pouvoirs publics), ce n’est pas le moment d’acheter des bouquins. Et début janvier, encore moins. Franchement, on s’est tous ruiné, autant d’un point de vue financier que neuronal (si si, notre QI a gravement baissé le 31 décembre), et là on veut nous faire acheter des livres ? Et pourquoi pas passez des concours pendant qu’on y est (qui n’ont pas lieu avant février en général) ?
Mais il y a plus grave. Voici quelques arguments pour dégager définitivement la rentrée littéraire du spectre culturel français.
Pourquoi faut-il supprimer la rentrée littéraire ?
Tentons d’être bref, et extrayons trois gros défauts d’une régulière rentrée littéraire :
Premièrement, l’habitude. Le félin est un éternel casanier qui règle sa journée comme un moine ses prières, aussi je sais de quoi il est question. Toutefois, lorsqu’il s’agit de me tendre la main pour acheter un bouquin, je me dis qu’un tel passage obligé, c’est mal. Et j’espère ne pas être le seul à me prêter de très mauvaise grâce à cette tradition livresque. La littérature, c’est inattendu, ce sont des découvertes sensuelles avec des titres capables de nous transporter – somptueux cliché, désolé.
Or, une sortie organisée n’a rien à voir avec quelque chose de spontané, c’est aussi automatique qu’un roman de Musso. Nous sommes à la rentrée littéraire ce que Jacky est, le soir du 14 février, vis-à-vis de sa nouvelle copine : quoiqu’il affirme, Jacky (l’éditeur) sait pertinemment qu’il va se faire pourrir s’il n’organise pas quelque chose. Du coup, notre ami fera comme tout le monde (en particulier ses lovers de potes), à savoir faire la queue dans un restaurant qui aura multiplié par 1,42 le prix de sa carte des vins. Non seulement ça va lui coûter bonbon, mais en plus il a fait péter sa carte bleue pour rien – la petite amie aurait aimé quelque chose de plus original.
Deuxièmement, une rentrée, ce sont toujours les mêmes choses qui, au final, reviennent. Réfléchissez-y mes amis. En septembre, l’écolier / collégien / lycéen / étudiant que nous étions (ou sommes) croit pertinemment que tout va changer, que le début du mois ne sera que découvertes et autres nouvelles réjouissances qui feront de lui un homme nouveau. Un emploi du temps neuf, des intitulés de cours alléchants, quelques belles radasses dans la classe, c’est la joie. Que dalle. A peine une semaine se passe que la monotonie s’installe, et l’esprit se tourne déjà vers les vacances de la Toussaint. Toute rentrée n’est qu’un cache-misère qui, sous couvert du passage vers un statut « supérieur », nous fait avaler les mêmes merdes. Idem pour la RL.
Concernant la rentrée de janvier, c’est encore plus flagrant : le soir du 31, peu avant minuit, la nouvelle année présente des atours décidément bien aguicheurs. Le bisou coquin sous le gui (enfin l’occasion de galocher discrétos sa cousine), les bonnes résolutions pour les douze mois qui suivent, les vœux numériques envoyés à des individus que vous ne verrez pas de toute façon, rien n’y fera. En effet, la gueule de bois passée, on se réveille avec les mêmes travers (plus quelques uns en prime, pour les plus chanceux) et la même vie déprimante. Idem pour la rentrée littéraire : si vous ne tenez pas vos bonnes résolutions, il n’y a pas de raison pour que les éditeurs le fassent de leur côté.
Troisièmement, comme je l’annonçais ci-dessus, le nombre indécent de nouveaux titres à lire est une supercherie intellectuelle comme on en voit rarement. Franchement, il est matériellement impossible de s’enfiler les récentes sorties littéraires et les apprécier. En annonçant que telle ou telle bouse sera LE fait marquant de la RL, les éditeurs nous contraignent à faire un « sprint reading » aussi consumériste que vain.
Je ne sais pas pour vous, mais Le Tigre n’aime guère être secoué, et préfère infiniment attendre la sortie en format poche – si cette dernière n’a pas eu lieu, c’est qu’il y a une raison. Du coup, je me dis que, si même un lecteur compulsif tel que moi n’en a rien à taper des romans de la RL, alors à part les trois pèlerins dans le monde de l’édition et les quatre connards en manque d’idées de cadeaux, je ne vois pas qui achèterait lesdites œuvres. On ne serait pas loin du suicide économique alors.
Au surplus, le lecteur lambda aura autre chose à faire qu’aborder les purges sorties des rotatives en ces temps troublés. En septembre, la reprise du boulot occupe suffisamment l’esprit pour qu’on se farcisse une dizaine de romans gros formats. Pour ma part, j’ai beau aimer m’aérer l’esprit, cela reste du gâchis surtout quand je vois les badauds lire les mêmes livres. En janvier, je stresse déjà pour boucler ma comptabilité et calculer combien l’État va me prendre. Sans compter le demi-million de neurones perdu dans la bataille de Champagne.
Quel type d’évènement littéraire imaginer ?
Maintenant que Le Tigre a furieusement tapé dans la fourmilière, il est légitime de demander ce qu’est proposé à la place de ces évènements. [J’aime bien utiliser le terme d’évènements, que ce soit mai 68 ou la chute du mur de Berlin, on se jamais s’il faut parler de crise ou de simple bordel.]
Je sais que ma réponse est nullissime, mais à la place de la rentrée littéraire, je propose tout simplement la chose suivante : ne RIEN faire. Parce que dès qu’on décrète qu’une période est propice à célébrer quelque chose, c’est que cette institution est plus ou moins en danger – à part la journée de l’internet et la fête des morts peut-être.
Plus sérieusement, lorsque j’annonce vouloir supprimer quelque chose, ce n’est pas pour construire une autre daube à côté. Chaque journée devant être une fête du livre (second cliché, Tigre est en forme), nul besoin de se foutre une plume dans le fion et parader avec ses derniers romans conformément à un atavisme littéraire aussi décadent qu’inutile.
Conclusion du tigrinator
Pour une fois, j’ai l’impression de m’être tenu au titre : supprimons la rentrée littéraire, et basta. Il y a suffisamment d’happenings dans le domaine des livres, se contenter de la douce période des prix littéraires – oh…wait – ou des salons à thèmes plus ou moins livresques doit suffire.
Conclusion de la conclusion, pourquoi le numéro 22 du présent billet ? Sur ce coup je ne me suis guère foulé : cet article est la suite du Sutra 21 (cf. supra) qui proposait de décaler la rentrée littéraire en juin. Tout simplement.
Mais il y a mieux : 1922, c’est aux yeux du félin une délectable année qui a vu de somptueuses choses arriver en littérature. Pendant que Jack Kérouac naissait (12 mars), Marcel Proust décidait de clamser – 18 novembre.
« »Nous sommes à la rentrée littéraire ce que votre maman est, le soir de l’anniversaire de papa, vis-à-vis de ce dernier : elle sait pertinemment qu’elle va se faire ramoner le fondement quoiqu’il arrive. Môman écartera donc ses grosses cuisses parce qu’il en est ainsi depuis des lustres – mêmes ses collègues de l’aquagym le font. » »
> C’était gratuit ça…
Je venais en paix vous demander si vous étiez morgane roulleau, je n’en ai même plus envie. c’est dommage de tâcher un article intéressant avec un truc facile et offensant…
Qui est Morgane Roulleau ?
Concernant la phrase incriminée, à seconde lecture je comprends l’offuscation. Les billets du Tigre étant évolutifs, je modifierai sûrement ce misogyne passage. Et comme vous avez copié-collé ce qui ne va pas, ça me semble encore plus correct question déontologie. Merci à vous !
Morgan rouleau est un type qui écrit des commentaires très perchés sur rue89 pour placer des liens vers un blog très étrange.
Merci d’avoir tenu compte de mon commentaire 😉
Pas de souci Lou ! Je suis allé voir le blog en question, il pique les yeux. Aussi j’ai jugé inutile de laisser le lien, ce serait lui accorder trop de crédit. J’espère que vous ne m’en voudrez pas.
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