Comme le titre tend à l’indiquer, une différence cosmétique peut vous pourrir la vie. Scénario certes fantastique mais inondé de noirceur bien moderne, le tout serti par un dessin brut auquel rien n’est à retrancher. Un conte assez dur (à l’ancienne donc) sur la recherche d’un bonheur qui est loin d’être gagné.
Il était une fois…
Isabelle n’est pas une gosse comme les autres. Née de l’union d’un papa « normal » et d’une femme qui l’est moins, elle a une pilosité très fournie. Du genre à devoir se raser l’intégralité du corps toutes les heures pour que ça ne se remarque pas – sa famille l’y contraint. Entre un père sur-protecteur, les camarades de classe un peu cons et autres contemporains à la méchanceté crasse, Isa va se révolter. Une crise d’adolescence ? Une aimable bouderie de collégienne à côté.
Critique de Velue
Deux remarques me viennent tout de suite. D’abord, Tanxxx (ou Tanx, j’avoue m’y perdre) est une artiste complète : illustratrice, auteure, peintre sur tous supports, lorsque j’ai par hasard découvert ses productions (assez sombres, je l’admets), l’envie d’en savoir plus devient très naturelle. Ensuite, ce roman graphique a tout d’un roman d’apprentissage, avec la différence de la découverte d’un univers hostile du fait même de la qualité de l’héroïne – dont le gros de l’existence est ici conté.
Isabelle n’est pas une méchante fille, seulement sa différence est perçue comme un handicap dans la société au sein de laquelle elle évolue. Tellement que son père fait tout pour la faire revenir dans ce qu’il juge être la normalité. Comprenez qu’avoir un petit ami, en présence d’un tel daron, est une gageure. Et quand Isa décide d’assumer ses poils omniprésents, le clash n’est jamais loin. Jusqu’à quitter le nid familial et tenter de survivre dans une société qui, majoritairement, la rejette.
Les étapes de l’héroïne, sobrement intitulées famille, amour, amitié et sagesse annoncent alors une évolution du personnage vers une sérénité assez touchante, à savoir une forme de retour à la source. Quant aux dessins, le trait large et sans concession entretient une forme de simplicité doublée d’un malaise en raison de l’air franchement peu avenant des différents personnages. Glauque. Toutefois, d’adolescente énervée perdue dans des cases remplies d’ombres, Isabelle termine par une posture fière et heureuse dans une étendue solaire, blanche car neigeuse – tel un paradis.
Oui, Velue n’est pas très youpi-tralala. Même les sourires ne sont pas francs, et la rage persiste dans des situations qui, chacune, illustrent la bêtise humaine. Pas sûr que vous vous sentiez mieux après la lecture tellement les sujets traités sont applicables à notre civilisation du conformisme. L’autre reproche à formuler (en est-ce un ?) serait la taille de cette BD qui se lit en un indécent laps de temps. Certes Tanx va droit au but, mais je n’ai jamais vu 80 pages bien aérées se terminer si vite.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Velue est donc l’histoire d’un individu qui, par sa naissance même, n’a hélas rien à faire dans ce monde. Traitée telle une freak, reniée par ses grands-parents, honte de son père, rien ne la dispose à l’amour. Même son petit ami, seul qui semblait l’aimer, meurt péniblement de cette relation – littéralement, mais aussi métaphoriquement eu égard la réputation qu’il se construisait de « baiseur de monstre ». Isabelle tente de s’adapter, malgré ses efforts (à sens unique) un terrible constat apparaît : elle ne peut que vivre qu’avec les siens, et là encore ils ne sont pas à l’abri d’être débusqués.
Plus généralement, le félin a appréhendé ce roman comme une charge contre ce qu’est notre société contemporaine qui bascule vers une forme de libéralisme déshumanisé. Rentrer dans des cases prédéfinies, suivre les règles (…d’hygiène en particulier), présenter une apparence convenable, plier l’échine (et ouvrir grand son anus) à la hiérarchie, etc. Voilà ce que tente de dynamiter Isabelle. N’en n’ayant pas le pouvoir, la fuite est l’unique solution. Celle-ci prend en fait la forme d’une rapide descente vers les « sous-strates » des catégories professionnelles, jusqu’à passer la nuit avec des SDF. Et c’est parmi ces recalés d’un impitoyable système qu’elle paraît (à mon humble avis) enfin en paix – même si les regards d’autrui demeurent noirs. Et au sein d’un branche de sa famille qu’elle se sentira vraiment chez elle. Pas si triste finalement.
…à rapprocher de :
– Tanxx a d’autres BDs à son actif, je devrais sans doute y jeter un œil. Bientôt.
– Les illustrations m’ont plus d’une fois rappelé Persopolis, de Marjane Satrapi, sans compter les certaines difficultés rencontrées par l’héroïne.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman graphique en ligne ici.