Recueil d’interventions sur Radio-Dakar en 1940 et 1941 d’un des plus grands naturalistes que la France aie connu, le lecteur curieux aura de quoi pleinement satisfaire sa soif d’apprendre. Non seulement les sujets abordés sont nombreux, mais l’humour pince sans rire et la critique de l’époque guerrière/barbare sont prégnants. Un petit classique d’humilité et d’humanisme à parcourir au moins une fois dans sa vie.
De quoi parle L’Hippopotame et le Philosophe, et comment ?
Parlons d’abord de Théo. Car le félin a été pris d’un double effroi. Terreur d’abord en découvrant si tardivement cet auteur – merci au lecteur attentionné qui a menacé de publier des photos du félin sur une plage nudiste s’il n’achetait pas ce bouquin. Admiration ensuite en lisant sa biographie, car le père Monod a un parcours aussi complet que son profil est multiple. Un scientifique certes, mais qui va bien au-delà de ses domaines de compétence pour rayonner dans d’autres. Une sorte d’intellectuel-aventurier, un guerrier des mots tellement fortiche que le régime de Vichy lui a gentiment demandé d’arrêter ses chroniques radiophoniques (il faut dire que les bellicistes, racistes et autres énergumènes en prenaient, non sans finesse, pour leur grade).
Ce joli pavé se décompose ainsi en une cinquantaine de chroniques qu’il est loisible de lire quand bon nous semble, même dans le désordre le plus complet puisque Théodore Monod parle d’absolument tout : des différentes espèces de fourmis ou de palmiers à l’histoire du pygmée trimbalé dans les cours d’Europe, en passant par les représentations de la faune ou de la flore sur les timbres émis en Afrique, je vous mets au défi de me dire qu’aucune chronique ne vous a pas laissé sur le cul.
Et c’est sans compter le style qui fait ressortir de ces pages un intervenant courtois, attentionné et désireux de transmettre, en toute simplicité, son amour de la nature et de la connaissance en général. Intervenant au vocabulaire extrêmement précis surtout, capable de s’arrêter sur un mot en particulier pour le décortiquer, expurgeant toute idée reçue et invitant le lecteur à faire preuve d’esprit critique – en plus de la curiosité d’en savoir plus. A coup de bonnes phrases et d’une certaine tendresse (qui confine à un savoureux humour), le félin imagine sans problème comment la populace pouvait rester scotcher aux mots envoûtants sortant du poste de radio.
A bien y réfléchir, seules deux aspects m’ont interpellé. Déjà, c’est parfois aride à lire, l’excès d’information (notamment les noms scientifiques balancés tels des confettis) peut fatiguer à la longue. Surtout quand on ne voit pas où Théo veut en venir – la pirouette intellectuelle arrivant dans les derniers chapitres. Enfin, l’utilisation continue du terme « race », qui, si à l’époque ne choquait point, provoque toujours un effet incongru (même si dans la bouche de l’auteur, la signification est bien différente que celle de nos jours).
Beauté de la langue, plaisir de l’apprentissage, thèmes inattendus qui m’ont ravi, je crains d’avoir passé un excellent moment.
Ce que Le Tigre a retenu…
J’ai appris énormément de choses, toutefois je suis certain d’en avoir oublié la plupart.
Cependant, les interventions au sujet de la linguistique restent particulièrement mémorables, car quand Théodore nous invite à imaginer une carte des langues en Afrique, celle-ci prend rapidement forme dans votre esprit. Langues sémitiques, nigériennes, indo-européennes, un substrat ou deux qui se balade, c’est passionnant en diable. Autant que d’autres textes sur les symboles trouvés dans différentes civilisations, certains étant similaires (alors que l’éloignement empêchait tout contact), par exemple le svastika utilisé dès les années 30 à d’autres fins…
Car il s’agit d’émissions radio qui, en période de conflit, étaient relativement subversives. Imaginez un scientifique de renom, à la culture immense et doté d’un esprit de synthèse à faire pleurer un énarque, dynamiter le fantasme de la race aryenne, catapulter dans la stratosphère l’existence d’une civilisation dite supérieure, et ce en insinuant, non sans malice, comment l’Europe en guerre est en train de se perdre. Quelques chroniques présentent, a contrario, le comportement des « barbares » africains qui font montre d’un bon sens salutaire et de respect d’autrui (autrui = être vivant, animal ou plante) dont le Vieux Continent semble avoir fait son deuil.
Monod était la voix de la sagesse, et c’est pourquoi celle-ci se devait de la mettre en sourdine pour laisser entendre les éructations des canons et le doux bruit des discours des dictateurs.
…à rapprocher de :
– Monod a une impressionnante bibliographie, j’ai cru comprendre que Méharées, exploration au vrai Sahara (une méharée est une randonnée dans le désert) et Les Déserts se laissent lire.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet essai en ligne ici.
Ping : DodécaTora, Chap.IS : 12 livres à emporter sur une île déserte | Quand Le Tigre Lit