Dans un phare croulant vit un homme bourru qui n’en peut plus des embruns et grosses vagues qui tombent sur son bâtiment chéri. Assisté de personnages célèbres, notre homme ne semble pourtant pas décider à quitter le phare. Assez mystérieux et sujet à différentes interprétations, heureusement que ça se lit en moins de trente minutes – douche salée comprise.
Il était une fois…
Au beau milieu de la mer il y a un phare. Dans ce phare vit Émile qui lutte seul contre les embruns et éléments déchaînés. Seul Bravo, le pilote d’hélicoptère, lui livre quelques portions de temps à autre. Émile n’est pas seul, ses mythiques amis lui rendent régulièrement visite – et de nouveaux se pointent.
Critique du Chemin d’Heming
A la base, Le Tigre n’a que peu l’habitude de lire du théâtre, même si c’est contemporain et que l’éditeur a pris le soin d’indiquer la mention « roman » sur l’ouvrage. Ensuite, en dépit des premières pages assez classiques, vous pouvez rapidement laisser votre cerveau rationnel de côté pour se laisser entraîner dans une histoire onirique mêlant mythologie et considérations pseudo-philosophiques parfois obscures – ou quelque chose dans ce goût là. A ce moment, le félin n’a guère accroché, n’ayant sans doute pas saisi les intentions de l’écrivain.
Si l’ouvrage démarre par un monologue assez aride à mon humble sens du vieil Émile (qui franchit le quatrième mur au passage), la suite a tout de la pièce de théâtre en deux actes. Avec des protagonistes, outre le personnage principal, assez surprenants : Ulysse d’abord, qui a l’habitude de passer pour prendre un verre et tailler le bout de gras ; Amandine ensuite, une des sirènes du père Homère ; et enfin Charles Sussenberg, qui vient de s’abîmer en mer à cause de la Trirème du roi d’Itaque. Toute ceci agrémenté d’une poignée d’images de belle qualité venant illustrer à-propos l’œuvre.
Plus ces individus pointaient leur bout de nez, plus je me suis dit que la solitude pesait tellement sur Mimile qu’il commençait à souffrir d’un désordre de personnalité multiple – déjà qu’il se parle beaucoup à lui même. Honnêtement, j’ai cru reconnaître les premiers signes du delirium tremens d’un pauvre bougre en plein burn out. En fait non, l’auteur canadien a bien invoqué ces illustres personnages qui, revenus d’entre les morts, accompagneront Émile à faire des choix extrêmement délicats – de l’avenir de son phare à la vie après ce métier, en passant par des conseils d’ordre matrimoniaux. Un joli sharivari vis-à-vis duquel j’espérais, en vain, un dénouement salutaire.
Il faut reconnaître au père De Greef une belle écriture avec une maîtrise appréciable du vocable maritime, je suis allé jusqu’à lécher une page pour y déceler un goût de sel… Au surplus, les dialogues sont globalement efficaces (quelques passages bizarres dans le lot) qui rendent ces personnages mythiques bien vivants – variation de langage aidant. Quant au style, celui-ci est parcouru d’une poésie insoupçonnée par l’utilisation de termes complexes mais visuellement agréables. Et ça claque plutôt bien à voix haute, on sent l’auteur habitué à la rythmique des mots.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le titre renvoie, astucieusement, à l’écrivain britannique Heming-way, la dernière syllabe étant littéralement interprétée par le pilote. Ainsi, les références au Vieil homme et la mer sont omniprésentes avec le pauvre Émile qui se bat, seul, contre les éléments maritimes qui ont forgé sa personnalité. Néanmoins, le héros n’est pas un marin et sa compréhension de l’océan est plus que limitée : si le vieil homme d’Hemingway n’appréhende que la surface de l’océan (contrairement au poisson tant recherché), Émile ne fait que subir vagues et embruns depuis son fort de pierre. C’est sans doute pourquoi il est plus proche de l’aérien Sussenberg qui voit tout de haut (étant noble, ça se comprend) que d’Ulysse le voyageur.
L’air de rien, Thierry De Greef pose une intéressante question sur l’existence des personnages de romans. Émile, qui apparaît comme être le seul être « non connu » de l’œuvre, est le seul qui se pense vivant. Si Ulysse est un héros antique, force est de constater qu’il n’appartient plus vraiment à Homère – comme Amandine, qui est plutôt mécontente de l’image des sirènes données au poète grec. Quant au pilote de l’hélicoptère, il m’a paru personnifier l’écrivain qui décide de faire vivre ou non ses personnages. Une sorte de divinité lointaine qui peut décider de lâcher ses personnages dans la nature, à l’instar du fameux « Lui » (cité par certains protagonistes) qui a abandonné l’Homme et semble s’en contrefiche…jusqu’à ce qu’un Autre refasse vivre le mythe.
…à rapprocher de :
– Évitez de lire le diptyque Anonyme est la mort et La mort est anonyme, je n’ai rien bité à ce thriller qui n’en est pas un.
– Tiens, ça m’a donné envie de relire Hemingway, peut-être que ça aide à mieux saisir la portée du présent roman.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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