Thierry Jonquet est un auteur tout-terrain, et La vie de ma mère ! constitue une brève curiosité littéraire, à mi-chemin entre le texte « coup de poing » à la Mygale et la noire description d’un univers souvent fantasmé. Original, car le narrateur est un jeune de banlieue, avec son style et ses limites de vocabulaire, pris dans le cercle vicieux de la délinquance.
Il était une fois…
Kevin a une petite douzaine d’années, et sa vie n’est pas au beau fixe : daron qui a quitté le foyer, mère qui travaille la nuit dans un hôpital, sœur shampouineuse; frère plutôt absent qui bosse en province, mauvaises notes au collège, et la belle Clarisse dont il est amoureux qui ne la calcule pas. En aidant ponctuellement (il fait un croche patte à un agent qui poursuivait un des membres) une bande de petits délinquants, il va de plus en plus traîner avec eux, jusqu’à être le témoin de leurs dérives. De sa dérive aussi.
Critique de La vie de ma mère !
Pour une fois que Jonquet n’est pas publié chez Folio Policier, il faut le souligner. Car ce n’est ni un polar ni un thriller, plutôt un roman sociétal qui est, au demeurant, de très bonne facture. D’ailleurs il me semble que ce texte est proposé dans les classes de collège, aussi vous pouvez le lire sans prendre de risque (en plus c’est très court).
Le scénario, sans spoiler (le ferai plus tard), est comme une pente savonneuse sur laquelle Kevin glisse allègrement. En aidant un groupe de « sauvageons », il devient rapidement l’un des leurs : vols, trafic de drogues, usage de stupéfiants (pas lui, seulement ses potes qui fument des boules d’héro, et partent bien sûr en sucette), fille paumées prêtes à sucer pour leurs doses, tout y passe. Parallèlement il tente de séduire la belle Clarisse, et utilisera son nouveau statut de « mini-caïd » pour lui offrir de belles choses (volées). Cependant, entre son environnement et celui de la belle il y a un monde.
Sur le style, Jonquet arrive à prendre la place d’un gamin des cités pour nous livrer une histoire réaliste et sans fard. Peu de chapitres, des paragraphes assez rares, un vocabulaire chantant et parfois amusant, Le Tigre a été rapidement pris dans le tourbillon de l’histoire. Si le début est plutôt calme, on sent qu’à mesure que les péripéties débarquent le jeune est plus à l’aise sur l’écriture (on est moins dans le langage purement oral, avec le verlan omniprésent) et parvient à mieux rendre compte de ce qui se passe autour de lui.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La vie des cités. Ce que décrit Thierry J. est profondément pessimiste, voire exagéré. Il ne semble y avoir pas beaucoup d’espoir dans l’environnement du héros qui raconte, avec ses mots, comment son parcours est presque tout tracé. Échec scolaire, ennui qui le pousse à se retrancher dans de peu glorieuses aventures, délinquance omniprésente, le tableau est sombre. Et de la part de cet auteur, dont les qualités narratives sont indéniables, le tout prend une tournure réaliste qui inquiètera plus d’un lecteur.
L’écriture. Double thème, car d’une part Jonquet s’est livré à un petit exercice de style, à savoir écrire comme le ferait un gamin de douze ans qui n’est pas vraiment fort en thème. D’autre part, le jeune homme tente, avec ses propres mots, de conter les péripéties des dernières semaines, ce que peu de gosses font. Mais pourquoi Kevin a-t-il envie de raconter sa vie ainsi ? [Attention SPOIL] En fait l’histoire tourne très mal sur la fin (il y a un crime commis), et le presque adolescent est sommé de livrer sa version au juge d’instruction. Si le lecteur le pressent, c’est seulement à la fin que Kevin s’adresse directement à lui. [Fin SPOIL]
…à rapprocher de :
– De Jonquet, ses classiques sont selon Le Tigre (je peux en oublier, les ai pas tous lus) : Les Orpailleurs, Mygale, Moloch, Mémoire en cage.
– Sinon, en BD, il y a Le temps des cités, qui reprend quelques éléments de l’univers du présent billet. Mais avec des protagonistes plus vieux, et une violence plus développée.
– Sur la « narration infantile », Fantasia chez les ploucs de Charles Williams n’a pas trop vieilli.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre via Amazon ici. [Mais attention, ne lisez pas la « description produits », ces boulets ont spoilé dans les grandes largeurs]
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