VO : The Bonfire of the vanities [jusque là, rien à dire]. Magnifique pavé d’auteur américain que Le Tigre respecte infiniment, c’est aussi hélas le seul de Wolfe que je recommande. L’histoire d’un homme qui, abruptement mais sûrement, passe du gratin sociétal au troisième sous-sol (celui des parias) est édifiante. En plus d’être servie par une plume de qualité.
Il était une fois…
Sherman McCoy a tout pour lui. Une femme (Judy) qui présente bien, une mignonne petite fille (son prénom, on s’en fout), une maîtresse à la croupe avenante et à la jeunesse éclatante (Maria) et surtout un boulot de rêve à Wall Street où il se fait de solides couilles en or pur carat. Mais un gros grain de sable va enrayer (pire, démonter) toute cette belle mécanique : après avoir chercher sa maîtresse à l’aéroport en voiture, notre mari imparfait se goure de sortie d’autoroute pour se retrouver dans les quartiers craignos de NYC. La peur monte d’un cran quand deux blacks (qui étaient autour de pneus enflammés) s’approchent, mais pour les aider. Dans un accès de panique Maria prend le volant et percute un des jeunes par mégarde. Henry Lamb, même pas vingt ans, décède sur le coup…
Critique du Bûcher des vanités
Ceci est LE roman de Tom Wolfe, et c’est un peu triste dans la mesure où c’est également son premier. Et le reste que j’ai lu de cet écrivain ne m’a pas semblé aussi fameux.
L’histoire est une descente aux enfers d’un homme qui se pensait intouchable. À la suite d’une terrible méprise de sa maîtresse (qui a coûté la vie à un jeune qui n’a rien d’un délinquant), tous les malheurs du monde lui tombent méthodiquement sur la gueule : police, médias, procureur, amis qui s’éloignent, femme qui se fait la malle, petite amie qui ne veut en aucun cas assumer sa responsabilité, etc. Comment en arriver à un tel acharnement ?
Et c’est là toute la magie de Wolfe. Pour plus de 900 pages, le risque était un scénario alambiqué doublé d’un style long et lourd à la Zola. Heureusement qu’on se rapproche plus d’un Balzac (ou Maupassant) contemporain qui détricote (cf. infra) et dresse un subtil tableau de ses pairs. A titre d’exemple, à un certain moment des messieurs en costard attendent dans une pièce de voir la mère du jeune décédé. L’un d’eux se lève et fait remarquer, à la fenêtre, les arbres magnifiques dans le jardin. Tous le suivent lorsque la mère noire vient. La vue du jardin n’était qu’un prétexte pour ne pas se lever lorsque la femme entrerait dans la pièce.
Pour conclure, Le Tigre a dévoré Le bûcher des vanités en une petite semaine tellement c’est intense et réaliste. Chapitres longs qui obligent d’avancer par gros blocs, descriptions nombreuses qu’on peut choisir de lire en diagonale, un passage littéraire obligé pour l’amateur de littérature américaine (avec John Udpike par exemple). Comprendre l’Amérique impitoyable et faussement hédoniste des années 80 n’a jamais été aussi plaisant.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La vanité. Dans ce roman Wolfe a pris un homme qui a tout pour déplaire et l’entraîne dans une aventure qu’on ne souhaite même pas à son pire ennemi. On le voit au début, amassant de l’argent en spéculant comme un sagouin sur le fameux « emprunt Giscard », rigolard et sûr de lui. A la fin de l’œuvre, il n’est rien. Abandonné de tous, il devra avaler des couleuvres aussi grosses qu’autant d’anacondas en vue de ne pas passer d’affreuses années en prison. Si bien qu’au cours du roman on trouve notre Sherman de plus en plus sympathique. Malgré ses nombreux défauts le lecteur se dira plus d’une fois : « fallait-il que l’auteur le punisse à ce point ? ».
La société américaine est décrite avec un luxe de détails à peine croyable. Wolfe a produit un travail aussi digne qu’un journaliste d’enquête (l’humour et le cynisme en plus), et les thèmes de cette peinture sociale sont pessimistes : dès que la situation part en quenouille, chacun tire la couverture vers soi et l’appartenance à une caste (souvent liée à un groupe ethnique) est la plus forte. En outre, tous les politiciens s’emparent de l’affaire pour avancer leurs pions en vue des élections. « Justice de races » enfin, qui annonce presque, dans le milieu des années 90, les terribles émeutes à Los Angeles (à cause d’une choquante décision de justice ).
…à rapprocher de :
– L’autre roman que Le Tigre a lu de cet auteur est Moi, Charlotte Simmons. Aussi long, mais tellement moins bien…
– Sur les « vanités », signalons que c’est également un genre pictural (natures mortes) représentant souvent un squelette, un sablier et d’autres attributs montrant la précarité de nos pauvres existences. En vrac, Philippe de Champaigne ou quelques artistes bataves (van Streeck par exemple) ont pondu quelques belles toiles sur ce sujet.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.
Ping : DodécaTora, Chap.BM : 12 os en papier à lâcher à sa belle-mère | Quand Le Tigre Lit
Ping : Tom Wolfe – Moi, Charlotte Simmons | Quand Le Tigre Lit