Triptyque conseillé par un tenancier d’un illustre magasins de BD sur Paris (Le Tigre n’en dira pas plus). Eu égard à mes lectures précédentes, ce n’était pas évident à trouver. Ces trois opus remplissent leur office : original, sombre et surprenant, ça se lit vite et on en garde un bon souvenir. Néanmoins 30 euros pour ça, c’est un peu nous prendre pour des pigeons.
Il était une fois…
Trois tomes, trois parties :
Tome 1: le coeur de Telenko
Telenko, un taxi driver new-yorkais marié à une handicapée revancharde, est en proie à des problèmes grandissants de santé. Quant à sa femme, il a bien envie de la tuer…avant qu’elle ait la même idée à son égard…
Tome 2 : les jambes de Martha
A peu près la même histoire que le tome 2, mais vu du coté de Martha, épouse de Telenko. D’une part on découvre pas mal de petits secrets de son passé, ce qu’elle désire, ses craintes quant à ce que Telenko est capable de faire ; d’autre part, on revit son tome 1, comprenant mieux l’histoire, et il nous tarde de lire le dernier tome dans lequel tous les nœuds gordiens vont se dénouer.
Tome 3 : la mémoire de Dillon
Dillon, c’est l’Indien dont la fille a été tuée par Telenko lors de sa virée en voiture avec sa nouvelle promise, Martha. Dillon, c’est le paria de la nouvelle civilisation américaine, qui va tenter de retrouver ceux qui ont détruit sa famille. Tout ça sous couvert de quelques légendes indiennes bien dosées.
Critique de Berceuse assassine
Un début tout à fait satisfaisant. Ambiance sombre, dessin glauque, dialogues lapidaires, Le Tigre valide. Titres bien trouvés. Tout ça a se lit hélas trop vite, heureusement qu’il y en a trois. Quant à la fin, parfaitement surprenante ! Le « grand final » est très bien amené, avec un dénouement logique et fort pessimiste. De jolies citations indiennes en fin de roman sont à signaler.
L’originalité première de ces trois ouvrages, et qui peut justifier leur achat, c’est le principe « trois livres, trois narrations » d’une même histoire. Avec la dernière BD qui chapeaute les deux précédentes et nous laissent leur clé de lecture. Un travail assez complexe qui a été correctement effectué par l’auteur, surtout en prenant en compte l’aspect visuel particulier à la BD.
Les qualités narratives et du dessin (ligne claire assez épaisse) sont indéniables. Avec le dessin tout en nuances de gris et à dominante jaune (et en rajoutant une histoire tournant autour de la vengeance), les clins d’oeil à Sin City sont plus qu’évidents. En revanche Le Tigre s’interroge sur la nécessité de pondre trois BD, pour un total de 150 planches environ. Alors que la plupart des romans graphiques ont le double question nombre de pages.
Le résultat est un prix assez prohibitif, car il faut acheter les trois pour réellement apprécier l’histoire. Et le faire vite au demeurant, tellement c’est rapide à lire. Certes une intégrale existe maintenant, mais ça reste un peu au travers de la gorge. Heureusement que les trois tranches, alignées, ça en jette un peu.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La narration multiple, comme expliquée brièvement, constitue un travail qui n’est pas à la portée de tout écrivain. Bien sûr il est facile de prendre, au fil de l’intrigue, différents points de vues. Mais pour une même scène proposer plusieurs interprétations, voilà qui est fort. Modification du texte, de la vision d’un évènement sous un autre angle, les contraintes dans une BD sont indéniablement plus importantes que pour un roman, et le présent triptyque n’a pas à rougir de la réussite de l’exercice de style. Le lecteur peut d’ailleurs se reporter aux exercices de style de Queneau, s’il ne les a pas déjà lus.
Sur l’histoire en elle-même, c’est la rancœur au sein d’un couple qui est avant tout abordée. Rancœur d’une femme dont le mari est responsable de son état, promise avant à une belle carrière, et qui cache la moindre amélioration de son infirmité. Ressentiment du mari à l’égard de sa femme qui constitue un « boulet » à sa vie, sans compter que ses problèmes de santé n’arrangent rien. De là à tenir sa femme responsable de son cœur vacillant, il n’y a qu’un pas pour Telenko. Le résultat en est la haine, et la conscience que quelqu’un ne survivra pas à l’autre à court terme. Et pour pousser ce destin, le désespoir aide à commettre l’irréparable.
…à rapprocher de :
– Dans le délire pseudo-indien du final, il convient de signaler la BD l’esprit de Warren, un peu plus « ésotérique ».
Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver l’intégrale de cette BD sur Amazon ici.