Lorsqu’un mangaka décide de récupérer les images et tons appartenant à l’imaginaire collectif, et ce pour mieux les retourner, il faut s’attendre à ce qu’il y ait des dégâts. Usamaru surprend à plus d’un titre, et malgré l’absence de liens entre les planches le tout se lit comme de belles petites histoires. Des petites barres de rire qui pourraient être dévastatrices pour tout lecteur incollable sur la culture japonaise.
Il était une fois…
Des dieux malmenés, des étudiantes kawaï à moitié barrées, quelques colporteurs voulant à tout prix que le client ouvre la porte, etc. Le tout dans un format original qui fera plaisir à plus d’un.
Accessoirement, Usamaru Furuya doit avoir un léger problème dans sa tête.
Critique de Palepoli
Voici une excellente bande dessinée. Précisons : pas tout à fait une BD, plutôt un roman graphique fait de saynètes se présentant généralement sous la même forme (quatre cases se lisant dans un ordre précis), ou alors un unique dessin qui saute aux yeux du lecteur occidental. S’il faut savoir deux choses sur Palepoli, les voici :
Premièrement, le mangaka s’est éclaté à prélever ici et là des icônes bien connues (tableaux de la Renaissance du style « La Vierge à l’enfant » par exemple) pour mieux les détourner. Quand ce ne sont pas ces calques irrévérencieusement utilisés, le Japonais use d’un trait varié mais précis, en tournant la page on ne sait pas à quelle sauce ses personnages (aux formes plutôt arrondies) seront mangés. L’humour qui en ressort est tour à tour violent, fin, mignon ou choquant. L’auteur tape partout avec une liberté et une logique difficile à saisir – chez le félin, c’est une excellente chose.
Deuxièmement, il y a un énorme souci à déplorer : les références sur lesquelles s’appuie Usamaru sont trop souvent locales, c’est-à-dire qu’il met en scène des situations qui ne peuvent être comprises que par les Japonais. Certes l’éditeur veut nous aider en indiquant en pied de page qu’il s’agit d’une parodie de telle ou telle série TV ou chanson populaire, mais ça n’ôte rien au sentiment de passer à côté d’une grande partie du ressort comique. Or, être à la place du dernier crétin à qui il faut expliquer la chute d’une blague n’est guère agréable.
C’est la principale raison qui fait que Palepoli n’obtient pas la meilleure note féline. Les illustrations restent magnifiques, il est arrivé au Tigre de rester scotché devant une planche, soufflé par l’audace ou la puissance du message que tend à faire passer un artiste qui ne s’interdit rien.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Tel que je le disais, il existe de savoureux décalages entre l’humour noir développé par Furuya et le graphisme, ce dernier faisant appel à un imaginaire culturel soit illustre, soit plus populaire. Que ce soient des jeunes femmes sorties de peintures de musées ou de fillettes échappées de séries pour gosses, le fossé est surprenant avec les situations et/ou dialogues. L’art (même le cubisme est concerné) et surtout la religion constituent alors un support classieux et reconnaissable, prélude à un éclat de rire redoublé. Certains esprits chagrins pourraient même crier au blasphème – je pense notamment à ce pauvre Jésus épinglé à côté d’insectes comme si c’était une curiosité scientifique.
Il faut savoir ensuite que les planches ne sont pas entièrement indépendantes les unes des autres. Des personnages et des sujets reviennent très souvent et évoluent au fil des pages. Tri sélectif avec des ordures à thèmes, le petit Takashi aux pouvoirs surprenants, d’inquiétants individus observés au travers un judas, une famille d’écorchés en plein art, des élèves habités par des tocs successifs…bref l’imagination d’Usamaru semble autant dérangeante qu’infinie – puisqu’il réussit à faire pire dans la narration suivante. Une sorte de running gags successifs qui sont autant de clins d’œil parvenant à créer une connivence avec le lectorat.
Cette connivence est enfin renforcée par des passages plus intimes, du moins qui traitent de la condition d’auteur de manga. Car Furuya n’hésite pas à se mettre en scène, non sans dérision, en particulier lorsqu’il est en prise avec un genre de fantômes qui salope ses planches (voire leur attribue une note). Le résultat de cette « méta-écriture » est une mise en abyme parfois vertigineuse lorsque l’auto référencement est poussé à son maximum – effets de miroirs garantis.
…à rapprocher de :
– L’humour déjanté à coup de références culturelles uniques me rappelle Hugleikur Dagsson, avec son DJ Set, voire Et ça vous fait rire ? (en lien).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.
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