Sous-titre : La Grande Terre. Premier opus d’une histoire assez dure sur le sort des bagnards des Antilles françaises, ma foi ce n’est pas mal du tout. Paco, c’est un homme comme tous les autres qui n’a rien à foutre dans cet univers et qui va tenter d’y survivre. L’histoire tient à peu près la route et les illustrations sont magnifiques, que demander de plus ?
Il était une fois…
Dans les années 30, un jeune instituteur a commis un meurtre. On ne sait pas trop pourquoi, à moins que Tigre a zappé quelque chose. Gloire au héros, il échappe à la guillotine mais est envoyé au bagne de Saint-Laurent, en Cayenne. Départ, conditions de vie, rencontres avec les forçats, durée de vie qui n’est pas censée dépasser 5 ans, c’est l’enfer de ces prisons-mouroirs qui sera raconté au lecteur.
Critique de Paco Les Mains Rouges, La Grande Terre
Voilà exactement le genre de BD dont on se demande, en l’achetant, à qui celle-ci est destinée : pour le petit cousin, la copine, le grand-père ? Car le dessin presque « enfantin » ferait penser à quelque chose de léger, toutefois le scénario ne l’est point. Après lecture, le constat : n’offrez pas ceci à votre petite sœur.
Si l’histoire démarre de manière plutôt classique, avec la trilogie découverte/apprentissage/violence, le protagoniste principal parvient progressivement à faire son petit chemin, certes aidé par un autre condamné. Les mots sont simples, directs, sans fausse pudeur, et tendent à décrire un système aussi violent que corrompu. On notera également les menues combines de chacun, plus particulièrement les fausses filières d’évasion qui permettent de se faire du fric tout en tuant les « bénéficiaires ». Tout le monde il est pourri.
Le dessin est le bon point du roman graphique. Bravo à Fabien Vehlmann, du beau boulot. La netteté du trait éloigne toute représentation photographique tandis que les teintes chocolat ajoutent une ambiance chaude, étouffante même. Le résultat est fort réussi, les personnages apparaissent encore plus attachants, à la manière des illustrations à la Rabagliati ou d’un Delisle.
Pour conclure, une œuvre bien partie mais qui m’a progressivement déçu : le dernier tiers est apparu plus fouillis avec une intrigue exagérément complexe (trahisons, transferts dans un autre bagne, etc.) et une fin qui n’en est pas une. Comme si les auteurs avaient coupé en deux l’histoire au mauvais endroit. Enfin, le lecteur curieux en méthodes dessinatoires sera comblé par les bonus en fin de titre qui offrent les différentes étapes de la patte d’Eric Sagot.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le bagne, forcément. Tigre n’est pas (encore) spécialiste du système pénitentiaire, mes connaissances s’arrêtant à un doctorat en criminologie et à de réguliers séjours à Saint-Martin-de-Ré, charmante bourgade d’où partaient les forçats (d’ailleurs une photo de la crique aménagée de cette ville est livrée en fin d’ouvrage). Toutefois, ce que raconte le père Vehlmann fait froid dans le dos. Pire qu’une prison, sous les tropiques la maladie attend en embuscade, quand ce n’est pas un coup de pute d’un prisonnier qui aura raison de l’existence d’un autre. Quant à la réinsertion, certains la trouvent dans le suicide, seule option apparemment valable.
L’amitié, puis l’amour. Effet kiss-kool de la promiscuité entre burnes, y’a forcément quelques tensions sexuelles dans l’air. Ça commence par le héros qui se fait violer par trois mecs, et le comportement à adopter ensuite. Il gagne ses galons, le respect et son surnom (« Mains rouges ») en surinant à mort un de ses violeurs. Néanmoins, dès la traversée, il y a aussi Armand, détenu expert tatoueur. Une étrange histoire se façonne entre les deux personnages, qui va de la simple aide à la tendresse, contrepoids bien humain. Jusqu’à ce que l’ancien pénétré devienne pénétrant (acte d’amour ici), avec tous les questionnements que cela peut soulever.
…à rapprocher de :
– Suite et fin dans Les îles, comme l’annonce l’éditeur. Attendons donc…
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