Sous-titre : L’histoire vraie d’une fille de gangster japonais. D’après le livre de Shoko Tendo. Manga/biographie aux allures d’histoire tragique d’une fille qui n’a pas tiré les bonnes cartes au concours de la vie, la joyeuseté n’a pas été ici invitée. Mauvaises fréquentations, drogues, sexe, violence, rien ne lui sera épargné. Malgré des illustrations correctes, Tigre n’a pas été totalement transporté.
Il était une fois…
Tentons de résumer rapidement ce qu’il advient de l’héroïne :
1/ Shoko Tendo naît dans une famille aisée grâce à la position du père qui gère un solide business plus ou moins louche (il est Yakuza, pour tout dire).
2/ Le papa est un impulsif qui rentre souvent beurré comme un Soviétique un lendemain de capitulation des Nazis, frappant tout ce qui bouge – et il ne se souvient du rien.
3/ Les affaires du daron chutent à vitesse grand V, c’est la merde pour lui. Son autorité envers sa fille en prend un coup, aussi celle-ci se laisse plus facilement entraîner par des amis peu recommandables.
4/ A même pas 16 ans, Tendo fréquente des jeunes délinquants, découvre les nightclubs et commence à expérimenter, non sans douleur, le sexe.
5/ Puis la drogue, et la multiplication des partenaires pour qui la notion de respect est aussi prégnante que celle d’intégrité chez Sarkozy.
6/ Tout est bel et bien parti pour que Tendo finisse un beau jour avachie sur le sol, la bave aux lèvres, consécutivement à une overdose, à moins que…
Critique de Yakuza Moon
Comment a débarqué ce manga dans le vaste monde littéraire ? Tout d’abord, il y a Shoko Tendo, qui en 2012 (pour la version anglaise) a publié ses mémoires qui ont eu un certain succès – de nombreuses traductions et documentaire l’attestent. Puis cet essai autobiographique a été repris par le scénariste Sean Michael Wilson qui l’a adapté en manga, aidé par le trait de Michiru Morikawa, célèbre illustratrice japonaise.
Le résultat est un ouvrage finement travaillé qui, d’un point de vue strictement artistique, est exempt de tout reproche. Les titres des chapitres annoncent autant d’étapes de l’existence d’une jeune fille trop tôt plongée dans l’univers des adultes, et le déroulement de l’intrigue (soucis de la jeunesse/déchéance/crise/salut) reste sobre, c’est-à-dire que la pompe à larmes a été autant laissée de côté que les passages durs sont éloquents – du sexe, mais aucun érotisme ni pornographie. Lorsqu’on parvient à garder à l’esprit qu’il s’agit d’une histoire vraie (l’éditeur insiste dessus), il n’est pas impossible de rester atterré face à ce gâchis tout en demeurant soulagé de savoir que l’héroïne s’en est finalement sortie.
Le Tigre a cru détecter des illustrations classiques (noir et blanc) qui n’appellent pas de commentaires particuliers si ce n’est l’omniprésence des visages des individus : ceux-ci squattent TOUTES les cases, souvent au détriment de l’environnement ambiant. J’aurais bien voulu que les remarques in petto de Tendo s’épanouissent dans de beaux tableaux (une ville, un quartier, une maison) affranchis d’une présence humaine, hélas ce n’est pas le cas. A force, je me suis dit que cela était voulu, aux fins de souligner les liens forts unissant les protagonistes et les influences entre eux – que ce soit en bien ou en mal. Toutefois, à la longue, l’œil ne fait plus attention au détail des intervenants qui deviennent vite interchangeables. Ça et leurs noms japonais, j’étais perdu au bout des deux tiers.
Plus généralement, je crois savoir ce qui a empêché le fier fauve d’apprécier sans réserve Yakuza Moon : déjà, c’est rédigé avec la sensibilité d’une jeune femme, or mon cerveau de brute est parfois infoutu d’entrer en communion avec les problématiques de la protagoniste. Ensuite, il est difficile de rendre compte de l’environnement sociétal local, et pour ce qui est d’une ville anonyme au Japon l’immersion est loin d’être satisfaisante. Enfin, je m’attendais bêtement à une histoire de Yakuzas – ma faute donc. Il n’en est rien, c’est l’histoire d’une femme qui a su briser un cercle vicieux.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
On se rend compte qu’être la fille d’un membre de la pègre est avant tout une malédiction. Rien à voir avec les gosses gâtés et craints des boss des mafias américaines ou européennes, au Japon il est davantage question d’être traité en paria. Et ce dès l’école primaire lorsque l’héroïne en prend pour son grade. Sans compter un homme de mains du papa qui, justement, veut foutre ses patounes là où c’est interdit chez une très jeune fille. Ce statut dessert l’héroïne qui s’acoquine naturellement avec les « yanki », ou groupe d’étudiants n’en faisant qu’à leur tête. Premiers fixes, situations glauques, tout se déroule avec une déconcertante facilité. L’accrochage aux substances illicites accompagne le décrochage scolaire qui est à peine freiné par des éducateurs passifs (Tendo n’existe plus pour eux) et une famille accaparée par d’autres soucis. Le cercle vicieux est total.
A tout hasard, il y a la troublante association entre la drogue et le plaisir sexuel. Les premiers pas de Shoko Tendo dans ce dernier domaine sont quelque peu douloureux, ses amants plus ou moins réguliers la considèrent frigide et la considèrent comme un mauvais coup. Jusqu’à ce que le sang reflux en elle et provoque ce qu’on appelle communément un orgasme. Sauf que ça a lieu en même temps qu’un shoot d’héro. Tendo se transforme alors en junkie réclamant sa dose et son coup de queue, les avoinées qu’on lui porte avant/après l’acte « d’amour » étant supportés par les seuls souvenirs d’une jeunesse jadis heureuse. D’ailleurs, c’est l’amour de sa famille (enfin, ce qu’il en reste) qui la sortira de l’enfer où elle s’est terrée.
…à rapprocher de :
– En pire, il y a l’histoire de cette brave Christiane F. (en lien). Cet essai a nettement plus retourné l’esprit félin.
– Murakami Ryu décrit assez bien la dérive de la jeunesse japonaise dans Bleu presque transparent. A lire. Réellement.
– Si vous souhaitez lire quelque chose qui a un rapport avec les Yakuzas, allez donc jetez un œil à Confessions of a Yakuza de Junichi Saga. Ou à l’indispensable essai de Jake Adelstein, Tokyo Vice.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.
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