VO : 兄弟. Très très long, souvent excessif (du moins je l’espère), Brothers est une immense fresque fraternelle qui se joue sur des décennies. De la révolution culturelle à l’explosion économique plus ou moins désordonnée, bienvenue dans le petit Bourg des Liu, spectateur et acteur d’un monde qui n’en finit pas de changer. Édifiant et dur, presque un passage obligé.
Il était une fois…
Ce lourd pavé (l’auteur ne pensait pas en arriver là) se décompose en deux parties assez distinctes. La révolution culturelle, d’une part, vue par Li Guangtou et Song Gang. Après le décès du père de Guangtou, sa mère se met en couple avec le flamboyant Song Fanping (dont le fils est Song Gang). La famille est relativement heureuse. Hélas les gardes rouges ne le voient pas de cette façon. D’autre part, les deux frères de lait entameront les années 80, pleine de promesses, avec plus ou moins de succès. Song Gang, qui est parvenu à épouser la belle du Bourg des Liu, ne parvient pas à s’adapter tandis que Li Guangtou, parti de rien, fait péter les millions avec un sans-gêne à peine croyable.
Critique de Brothers
En démarrant ce petit bloc de littérature, Le Tigre ignorait qu’il en aurait pour plus de deux semaines. Par Mao, qu’est-ce que ce fut parfois long ! Rien que la première partie (plus de 300 pages quand même), avec la jeunesse de nos héros qui se termine par le décès de leur môman, justifie un roman à part. Et ça met dans l’ambiance : le premier chapitre porte sur un des gosses qui voit les popotins d’une tripotée de femmes dans les WC publiques…or, parmi ces demoiselles, une en particulier qui entretien les fantasmes de la populace.
Il s’ensuit des temps extrêmement difficiles pour les jeunes frères, la famine se disputant aux réprimandes de leurs contemporains. Au fil des années, Li Guangtou fait preuve d’une certaine débrouillardise, à l’inverse de Song Gang qui est définitivement trop gentil. Certes cela le sert au début (Lin Hong devient sienne), toutefois Gang se fait couillonner plus d’une fois…jusqu’à se faire implanter de faux seins à cause d’un charlatan de belle facture, c’est dire. Parallèlement, Li Guangtou, qui souffre que son frère l’a abandonné (malgré l’assistance réciproque qu’ils se sont jurés), devient un brillant homme d’affaires. Textiles, import export, organisation d’un concours de miss (qui se termine en lupanar), restauration, le mecton n’a plus de limites.
L’écriture de Yua Hu appelle deux remarques. Car le Monsieur est généreux dans son style qui est direct et ne s’encombre pas de pincettes : ça rote, ça insulte, ça saigne, ça se bat, ça se fait torturer et forcément ça finit par baiser (mais rien de trop érotique, c’est assez surprenant). Pas de termes ni tournures de phrases ampoulés, c’est un vrai plaisir. Pourtant, malgré quelques solides descriptions, souvent le très occidental Tigre a eu du mal à se représenter certaines scènes.
Car l’immersion est loin d’être parfaite, notamment le caractère explosif des protagonistes. De vraies caricatures de ce qu’était (et est) l’Empire du Milieu. Au surplus, il est quelques raccourcis tels que l’ascension fulgurante de Li Guangtou qui passe en quelques mois de moins que rien en richissime chiffonnier – trois paragraphes, et hop ! A peine le lecteur aura intégré les changements de paradigme de nos héros, et voilà que tel ou tel protagoniste change de statut du jour au lendemain – le félin pense particulièrement à la veuve éplorée qui devient la Madame Claude du district.
Il n’en reste pas moins que le plaisir était entier. Vraiment. Cependant (désolé d’ainsi enfoncer le clou), je finirai par un coup de gueule à l’intention de ce malotru d’éditeur : les notes de bas de page, c’est au BAS de la page. Pas à la fin du roman, nom de Zeus. Vous croyez que ça m’amuse à aller chercher, dans les dernières pages (papier bible, forcément), le numéro de référence du bon chapitre pour savoir ce dont il est question ? Trop difficile de foutre ce putain de point explicatif/culturel (fort intéressant au demeurant) dans la même page ? Ôtez-moi d’un doute : ça vous arrive de lire ce que vous publiez ? Boulets.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Tellement de choses à dire…oh la la, je vais oublier plein d’exemples ou de sujets traités assez importants. Et adieu ma limite de 1000 mots par billet.
Comme l’explique l’écrivain chinois, sa saga vise à faire comprendre ce qu’il peut bien se passer dans la tête de personnes qui vivent, en l’espace de quarante ans, autant de changements économiques et sociétaux qu’on vécu les Européens en quatre siècles. Imaginez une seule génération qui passe du moyen-âge à la consommation de masse, il y a de quoi en perdre son mandarin non ? C’est sûrement pour cela que le Tigre se plaint de la vitesse à laquelle ces évolutions opèrent, cela semble difficilement concevable.
Tout d’abord, Yu Hua insiste lourdement sur l’immense gâchis qu’est la révolution culturelle. Rien que le destin de Song Fanping est terrifiant à souhait : le brave gars n’a rien à se reprocher, l’avenir lui tend les mains et ses talents sont multiples. Trop talentueux sans doute, c’est le clou qui dépasse qui appelle l’irrésistible marteau de la propagande rouge. Tout en en prenant plein la gueule, Fanping ne se départit pas de son sourire et de sa bonne humeur – ce qui rend sa chute encore plus triste.
Ensuite, les trente années qui passent à vitesse grand V offrent au lecteur une transformation délirante du petit bourg en une rutilante ville. Les mœurs sont plus que libérées, Li Guangtou et Song Gang représentent parfaitement ce qui cloche : lorsqu’un cherche désespérément l’amour en couchant avec des centaines de femmes (certaines se font passer pour vierge grâce à un artifice chirurgical), l’autre fuit le bonheur d’un couple stable et gâche irrémédiablement sa bonne fortune – se tuer à la tâche, vagabonder pour quelques yuans.
En guise de conclusion, Brothers est le tableau d’un pays qui marche sur la tête et où les contrastes sont insupportables. Écriture drôle et bourrin, à la limite caricaturale, et puis hop l’horreur et la tristesse infinie qui s’invitent et font que certains passages m’ont serré le bide (pour y arriver, il faut s’accrocher avec Le Tigre). Voir ainsi les liens du sang être dépassés par la mondialisation forcenée, être témoin de la transformation d’un coquet village (avec ses habitants hauts en couleur) en une impitoyable zone où l’argent est roi, lire tant de destins brisés, franchement ça fait mal au cœur.
…à rapprocher de :
– Concernant les auteurs Chinois, Mo Yan et son Radis de cristal ne m’avait pas emballé.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Timothée Demeillers – Prague, faubourgs est | Quand Le Tigre Lit
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Bravo Tigre pour être arrivé au bout de ce roman ! Pour ma part je me contenterai de ce résumé de plus de 1000 mots !
Ping : Mo Yan – Le radis de cristal | Quand Le Tigre Lit